Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/64

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remémora d’anciennes amantes, des nuances de pâmoison ; puis, sans savoir comment, il en arriva à songer aux filles du vieil antiquaire Van Hulle, mais à Barbe seulement. On aurait dit que Godelieve, trop chaste, était une des cloches d’un autre dortoir de la tour, la cloche noire d’une robe de béguine, qui a fait des vœux. Barbe, au contraire, était la cloche de Luxure ; tous les péchés couvraient sa robe ; et, en dessous, il voyait son corps nu ; il imaginait cette peau de soleil qu’elle devait avoir, elle aussi comme étrangère avec son hérédité de l’Espagne…

Louche rêverie où la cloche obscène l’avait entraîné ! Est-ce que décidément il allait aimer Barbe ? En tout cas, il sentit qu’il la désirait violemment. Aussi quand il s’en revint dans la chambre de verre, il chercha le point minime, parmi la ville éparse, où elle vivait, circulait, songeait à lui peut-être. Il s’orienta ; son regard suivit les quais, arriva à la rue des Corroyeurs Noirs, si mince, imperceptible, d’une étroitesse d’algue, entre les vagues capricieuses des toits. Elle était là sans doute. Et, hanté par elle, le carillonneur redescendit dans la vie…