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SERVANTE ET MERE.

Il la regarda comme on regarde une femme dans le délire… Une fierté douce animait les yeux de la négresse ; on eût dit qu’elle recouvrait un peu de soleil.

— Après tout, reprit-elle, pourquoi me plaindre ? N’est-ce pas moi qui me suis dévouée à toi de plein gré ? Le ciel me récompensera. Ah ! le ciel est juste, lui qui aux hivers cruels fait succéder la tiède verdure, lui qui a dit à la mère du jeune mort d’Éphraïm : « Espérez ! »

— Noëmi, répondit Saint-Georges avec tristesse, n’accusez ici que les inflexibles lois des hommes. C’est le monde qui veut que je vous cèle à tous les yeux, non pas moi ! Je vous aime, ma mère, comme ce que j’ai de plus doux sous le ciel ; je vous aime comme l’oiseau aime son nid. Doutez-vous de mon amour, ma mère ? alors vous douteriez que Dieu me regarde en pitié ; que chaque soir, lorsque je vous retrouve, vous, mon hôtesse, mon cœur ne s’élance point au-devant du vôtre. Je vous ai enfouie comme un avare enfouit son or. Encore une fois, le temps viendra où devant ma voix, comme devant la baguette d’un magicien, ces murs tomberont pour vous laisser voir la mer et les rochers à pic où vous m’avez vu courir ! Par pitié seulement ne m’exposez pas à vous défendre, car, je le sens, le premier qui oserait insulter ma mère, oh ! celui-là serait aussi le dernier. Noëmi, je le tuerais !

Il s’était levé avec une énergique rapidité ; son poing fermé menaçait, l’écume couvrait ses lèvres… Noëmi crut voir cet ange qui lutta contre Jacob, elle