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DEUX BAPTÊMES.

d’avoir oublié son origine : c’était une marquise et une créole dans la stricte acception de ces deux titres. Marquise, elle avait toujours devant les yeux le nom que M. de Langey, neveu d’un commandeur au service de mer, lui avait apporté en mariage ; créole, elle avait retenu de sa mère ces leçons d’empire souverain dans lesquelles l’entretenait le privilège de l’épiderme. Or, elle arrivait dans un pays où ces doubles qualités devaient prévaloir et lui assurer les admirations de la foule ; elle allait se lancer bientôt comme une frégate légère au milieu des vagues ; elle allait vivre au sein d’une société tendrement nonchalante ou ardemment dissolue… Il lui fallait d’un seul coup conquérir tous les suffrages, affronter ce climat brûlant des Antilles et s’y trouver bien vite à sa place par quelque vice ou quelque vertu d’éclat. Il ne manquerait pas, à coup sûr, de gens maussades qui éplucheraient ses actions, sa froideur ou ses caprices. Mme de Langey voulait marcher seule, indépendante de toute impulsion particulière ; ce qui pouvait la mettre en relief par les autres lui importait peu : c’était un acier trop finement trempé pour ne pas résister à tout par sa propre force. Veuve et libre, jeune et belle, elle ne songeait qu’à vivre comme elle l’entendait, avec une franchise d’allure que des puritains auraient peut-être appelée licence. Ceux qui admirent la Médée antique comme la plus parfaite concentration de volonté auraient admiré Mme de Langey : c’était un singulier mélange de beauté et de tyrannie, femme et marbre tout à la fois ! Jamais peut-être plus décevante image de pas-