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TIO-BLAS.

l’amour d’un Espagnol est moins flexible que la lame de son épée, mais il tue comme elle, sachez-le !

« Je venais de m’envelopper de mon manteau ; je m’élançai à travers votre jardin, où gazouillaient déjà les ramiers. La même mulâtresse m’accompagna. À travers la brume de l’aube j’arrivai jusqu’au navire sur lequel j’avais retenu passage ; j’avais encore à mes lèvres le parfum de vos baisers. Vos promesses d’amour me rassuraient, votre tristesse menteuse m’avait touché ; dans mon cœur fermentait déjà la vengeance. J’avais hâte d’arriver à Saint-Domingue, de provoquer M. de Langey, je le voyais debout devant mon épée, je le tenais vaincu ; je l’avais à ma merci… Comme un homme encore étourdi des vapeurs du vin et dont les souvenirs se heurtent confus, je me rappelais à peine les détails de ma nuit, quand le capitaine me demanda mon passeport. Je l’avais serré la veille dans mon portefeuille, ce portefeuille laissé chez vous et que vous aviez refusé d’accepter malgré mes instances. Il m’eût semblé honteux de reprendre cet or à l’aide duquel vous eussiez effacé jusqu’au premier souvenir de notre amour ! Le capitaine ne m’en reçut pas moins à son bord sur la recommandation de quelques marchands, et nous partîmes.

« Quel horrible coup le sort me tenait en réserve à mon arrivée ! nulle pensée humaine ne pouvait certes le prévoir ! Moi-même, en entendant le tambour battre aux champs dans San-Yago, devais-je me douter qu’il allait s’agir du renversement entier de ma fortune ? J’arrivais avec la soif de la vengeance,

II,

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