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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

putation d’un homme discret et n’avait jamais dit hautement aucune femme. Ce manège artificieux convenait de tout point à Mme de Langey. Comme elle avait passé sa vie à tâcher de ne pas aimer en dupe, elle alla au-devant des désirs secrets de M. de Rohan, trop décemment épris pour ne pas se taire, trop homme de cour pour ne pas l’attendre et la ménager. Ce furent, un mois durant, des airs de pruderie et de veuvage blessé qu’elle affecta ; elle évitait les parties de cheval que pouvait lui proposer M. de Rohan, près de l’Ester, la rivière aux plis d’argent, bords charmans, dont les fleurs liées de joncs verts se retrouvaient depuis quelque temps dans le bouquet jeté sur son lit par une main inconnue !… Quand on annonçait M. de Rohan, la marquise le recevait avec une froideur respectueuse ; elle avait l’air de se mettre au clavecin seulement à sa prière, il fallait qu’il lui contât toutes ses mesures de sévérité. La conversation prenait alors un tour de rigueur féodale qui semblait flatter la châtelaine au dernier point.

— Vous êtes sévère, marquise, disait ce soir-là M. de Rohan ; eh quoi ! vous ne trouvez pas la punition de ce nègre espagnol suffisante ! On m’a assuré cependant que ça avait été toute la nuit un rugissement de panthères autour de sa fosse ! Tous les noirs y venaient gémir et se rouler.

— Ce n’était pas assez pour un misérable Espagnol !

— Qu’est-ce, ma toute belle ? interrompit Mme d’Esparbac, survenue à pas de chouette au milieu de