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LA LIVRÉE.

imprévu ; mais la désolation de Saint-Georges l’avait touchée. Il y eut d’abord dans l’âme de cette fille de sa couleur un sentiment d’orgueil froissé qui fit place bientôt à la compassion dès que Finette découvrit l’abîme des peines auquel il se condamnait.

— Soyez heureux, Saint-Georges, dit-elle en séchant les larmes du jeune homme sous le feu de ses baisers. Soyez heureux, moi je vous aurais bien aimé !

Hélas ! la pauvre fille ne se doutait pas plus que Saint-Georges à quel triste emploi il allait se voir réservé ; il ne l’apprit que trop tôt. Le cadre des gens de service de la marquise était rempli ; elle-même s’était abusée en le reléguant à l’office ; il ne restait qu’une place d’aide aux écuries ! La livrée du mulâtre devait consister en un sarrau d’étoffe grise ; son turban de perles, il le devait échanger contre un bonnet de ferme ; ses pantoufles pailletées, contre de lourds sabots. Par ordre de Joseph Platon, on tira d’une armoire huileuse la défroque d’un palfrenier mort, et l’on força le mulâtre à l’endosser.

Quel deuil et quel changement ! Jusque-là Saint-Georges ne s’était jamais pris à réfléchir sur sa profonde misère. Les humiliations d’un homme de couleur aux colonies lui apparaissaient presque douces et supportables à côté de ces insignes de honte, dont les railleries intéressées de ses anciens camarades ne manquèrent pas de lui faire sentir encore plus le poids infamant.

— Du moins, s’écria-t-il en frappant de rage son front contre les nattes de l’écurie ! du moins si je la