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JOSEPH PLATON.

étoffe légère, il se servait des petits nègres comme d’autant de chiens d’arrêt. Quand il ne s’exerçait pas à chiffrer, sa main pressait assez volontiers les gâchettes d’un fusil. La chasse de Saint-Domingue ayant plutôt lieu à l’affût, puisqu’on s’y sert rarement de chiens, si ce n’est de ceux des hattes, pour faire lever le gibier dans les fourrés impraticables aux hommes, le gérant emmenait souvent à sa suite ceux qu’il appelait ses protégés, pour porter son sac et ses callebacites. Souvent le long des haies, au milieu des cotonniers, ou dans les champs de maïs et de patates, l’on voyait se glisser le matin l’ex-commis aux octrois, M. Joseph Platon, tirant au passage les gingeons et autres canards, les tourterelles et les ramiers, dont il se faisait composer ensuite des daubes succulentes. Pour la chasse du caïman, il lui arrivait parfois de paraître moins résolu ; il ne l’affrontait guère qu’avec quatre sondeurs noirs munis d’épieux d’une main et d’un coutelas de l’autre. Parmi les compagnons les plus ordinaires de ces sortes d’expéditions brillait le jeune mulâtre, que Joseph Platon avait pris en amitié. Saint-Georges, loin d’être traité par Joseph sur le pied des autres esclaves de l’habitation, recevait chaque jour de la part du contre-maître des témoignages réels d’amitié et d’adoucissement en sa faveur. Ainsi, il l’avait exempté de certains offices trop rudes, comme de puiser de l’eau aux sources lointaines, de courber l’épaule sous de lourds fardeaux ; en un mot, Joseph Platon était devenu économe de son élève à un degré qui eût honoré un philanthrope. S’étant pris un jour à examiner la cons-