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UNE AUBADE.

Ce signal devint le prétexte du plus bruyant des charivaris… Tout l’orchestre noir en reçut le branle et ne tarda pas à remplir la cour de là plus indéfinissable musique dont une oreille humaine puisse être blessée. Ces dilettanti avaient mis en réquisition tous les instrumens connus dans l’île, jusqu’aux chaudières de cuisine. La chanterelle agaçante de Joseph Platon y faisait entendre de véritables cris de sarcelle effarouchée. Le bruit de cette gamme assourdissante et continue monta jusqu’aux croisées en une seconde et réveilla en sursaut la marquise de Langey.

— Finette, cria-t-elle, donne vite la chasse à ces moustiques ; va, jette-leur quelques piastres. Tu trouveras des bourses toutes prêtes sur cette table…

Finette, belle mulâtresse de dix-huit à vingt ans et femme de chambre de Mme la marquise, descendit bien vite sur le perron pour exécuter cet ordre absolu. Elle fit voler les piastres au milieu du groupe, avec une main digne d’une impératrice. Elle dit à Platon de faire retirer ses noirs et leur ferma elle-même la porte au nez.

— Sachez donc, une fois pour toutes, ajouta Mlle Finette au gérant tout ébahi, que Mme la marquise ne se réveille qu’à trois heures ! À trois heures vous pourrez lui présenter vos devoirs !

Joseph Platon balbutia quelques mots d’excuses et se retira l’oreille basse. Comme il lui fallait se remettre un peu, il cingla, par contenance seulement, quelques coups de fouet aux musiciens les plus pro-