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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

d’autres idées, peut-être lui rappelait-il une époque de sa vie sur laquelle sa bouche s’était fermée à tout jamais comme la pierre sur le sépulchre. Accablée souvent par la souffrance et prête à livrer sa main au désespoir, elle s’arrêtait tout d’un coup et relevait le front avec orgueil, comme si elle eût entrevu quelque aurore lointaine dans un mirage. Dans ces instans de crise et de fièvre, elle nommait des sites oubliés depuis longtemps, elle suivait le cours de ruisseaux taris et désolés. Suspendue à ces souvenirs inintelligibles pour tous, elle poursuivait en elle le sens de cette mystérieuse énigme, elle pleurait et souriait tour à tour… Plus forte bientôt contre la peine, elle se renfermait dans tout le courage de son martyre. Son état de santé variait selon les joies ou les douleurs enfantines de son fils. Elle souriait de son sourire et s’inquiétait de ses moindres maux ; dépendante et méprisée, elle lui cachait chacune de ses amertumes. L’habitude de la souffrance avait fait enfin de cet instrument de passion une grande et belle âme, rachetant amplement, aux yeux de Dieu, même sans être chrétienne, les condescendances coupables de sa jeunesse et des voluptés qu’elle avait plutôt subies que cherchées…

Quand le pas du mulet retentit près de la hutte, Noëmi veillait encore, bien que la nuit fût profonde… Elle songeait moins à coup sûr alors à Zäo le captif qu’à Saint-Georges l’absent… Elle s’arracha de sa natte aux premiers bonds de l’animal dans la grande cour, et pressant le jeune mulâtre entre ses bras, elle l’inonda de larmes…