Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/115

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Célestine. Il peut avoir, madame, vingt-trois ans ; devant vous est Célestine, qui l’a vu naître et le reçut aux pieds de sa mère.

Mélibée. Je ne te demande pas cela, je n’ai pas besoin de savoir son âge, mais combien il y a de temps qu’il souffre de ce mal ?

Célestine. Madame, il y a huit jours, autant que j’ai pu le savoir ; on croirait qu’il y a un an, tant il est changé. Le plus grand remède qu’il emploie est de prendre une guitare et de chanter des romances tellement pitoyables que je ne crois pas qu’elles soient autres que celles que composa Adrien, cet empereur grand musicien, sur le départ de l’âme et sur la fermeté à l’approche de la mort. Quoique je me connaisse peu en musique, il semble qu’il fasse parler cette guitare. S’il se met à chanter, les oiseaux éprouvent à l’entendre plus de plaisir que n’en a jamais produit cet Amphion, duquel on disait que ses chants faisaient mouvoir les pierres et les arbres. On n’aurait pas fait de tels éloges d’Orphée, si le cavalier dont je vous parle eût vécu dans le même temps. Voyez, madame, si une pauvre vieille comme moi serait heureuse de rendre la vie à un homme qui réunit tant de qualités. Aucune femme ne le voit qu’elle ne loue Dieu de l’avoir fait ainsi ; et s’il lui parle, elle n’est plus maîtresse d’elle-même, c’est lui qui ordonne. Et puisque je conserve tant de raison, jugez, madame, que mon but était bon, que mes démarches étaient pures, louables et à l’abri de tout soupçon.

Mélibée. Que je suis peinée de mon peu de patience ! Il n’avait aucune mauvaise intention, tu étais innocente, et vous avez souffert tous deux des ridicules fureurs de ma langue irritée. Mais je trouve l’excuse de ma faute dans tes longs discours, qui avaient excité mes soupçons. En payement de ce que tu as souffert, je veux t’accorder ta demande et te donner dès à présent ma ceinture, et comme je n’aurai pas le temps d’écrire la prière avant l’arrivée de ma mère, si la