Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/117

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se fait sentir un peu ; dans tout le royaume il n’y en a pas un autre que moi qui sache la faire : il n’y a rien de plus désagréable que ce défaut chez les femmes.

Lucrèce. Oh ! Dieu te donne une bonne vieillesse ! j’avais plus grand besoin de tout cela que de manger.

Célestine. Alors pourquoi murmures-tu contre moi, petite folle ? Tais-toi, tu ne sais pas si tu n’auras pas besoin de moi pour quelque chose de plus important. N’excite pas la colère de ta maîtresse plus qu’elle ne l’a été, laisse-moi aller en paix.

Mélibée.. Que lui dis-tu, mère ?

Célestine. Madame, nous nous entendons.

Mélibée. Dis-le-moi, car je me fâche quand on dit devant moi quelque chose que je ne puis entendre.

Célestine. Je lui dis, madame, de vous faire ressouvenir de la prière pour que vous la lui fassiez écrire, et de prendre modèle sur moi pour supporter votre colère ; je me suis conformée à ce qu’on dit : « Il faut s’éloigner pour un instant de l’homme irrité, pour toujours de l’ennemi. » Vous, madame, vous aviez de la colère parce que vous doutiez de mes paroles, mais non pas de l’inimitié ; et lors même qu’elles eussent été ce que vous pensiez, elles n’eussent pas pour cela été blâmables ; chaque jour il y a des hommes affligés par des femmes et des femmes affligées par des hommes. C’est l’œuvre de la nature, Dieu commande à la nature, or Dieu n’a jamais fait de mal. Ainsi ma demande, quelle qu’elle fût, était louable en elle-même, puisqu’elle procédait de cette source ; je n’ai donc aucun reproche à me faire. Je vous dirais bien d’autres raisons là-dessus, mais la prolixité fatigue celui qui écoute et fait tort à celui qui parle.

Mélibée. Tu as agi avec tact en toutes choses, aussi