Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/141

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de ne vouloir pas aimer et espérer être aimé ; c’est une folie que de payer l’amitié avec la haine.

Parmeno. Mère, je te confesse ma seconde faute et je ta prie, en me pardonnant le passé, d’ordonner pour l’avenir ; mais je crois qu’il est impossible d’entretenir amitié avec Sempronio. Il est extravagant, je suis peu patient ; fais des amis avec cela.

Célestine. Mais ce n’était pas là ton défaut.

Parmeno. Sur ma foi ! plus j’ai grandi, plus j’ai perdu ma première patience ; je ne suis plus ce que j’étais, et Sempronio n’a rien qui me convienne.

Célestine. L’ami véritable se fait connaître dans les choses incertaines ; c’est lors de l’adversité qu’on peut le mettre à l’épreuve ; c’est alors qu’il arrive et qu’il visite avec empressement la maison que la fortune prospère a abandonnée. Que te dirai-je, mon fils, des qualités d’un bon ami ? Il n’y a chose plus aimée ni plus rare ; il n’est aucune charge qu’il n’accepte. Sempronio et toi, vous êtes égaux : la parité des habitudes et la similitude des goûts sont le meilleur appui de l’amitié. N’oublie pas, mon fils, que si tu as quelque chose, on te le garde ; sache gagner davantage, tu trouveras plus tard ce que tu as déjà. Béni soit le père qui te l’a laissé ! Je te le donnerai quand tu seras d’un âge plus avancé et convenablement établi.

Parmeno. Mère, que veux-tu dire par établi ?

Célestine. Vivre pour toi, mon fils, ne pas végéter dans les maisons d’autrui, ce que tu feras toujours tant que tu ne sauras pas mettre ton service à profit. C’est à cause du chagrin que j’ai ressenti de te voir aussi mal vêtu, que j’ai demandé aujourd’hui une mante à Calixte, comme tu l’as vu ; non pas pour cette mante, mais pour que ton maître, ayant le tailleur sous la main et te voyant devant lui sans pourpoint, t’en fît aussi le cadeau. Ainsi ce n’est pas seulement pour mon profit (comme j’ai compris que tu le disais), mais aussi pour le tien. Si tu attends les cadeaux de ces galants,