Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/143

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Célestine. Tu broncheras en cela et en bien d’autres choses tant que tu ne suivras pas mes conseils ; ils te viennent d’une amie véritable.

Parmeno. Je tiens aujourd’hui pour bien employé le temps que j’ai passé à te servir, puisque j’ai retiré tant de fruit pour un âge plus avancé. Je prierai Dieu pour l’âme de mon père, qui m’a laissé une telle tutrice, et pour celle de ma mère, qui m’a recommandé à une telle femme.

Célestine. Ne me parle pas d’elle, mon enfant, je t’en conjure, car mes yeux se gonflent de larmes. Trouverai-je en ce monde une pareille amie, une telle compagne, une aide semblable dans mes travaux et mes fatigues ? Qui cachait mes fautes ? qui savait mes secrets ? à qui mon cœur était-il ouvert ? qui donc était tout mon bien et mon repos, si ce n’est ta mère, plus que ma sœur et mon amie ? Oh ! qu’elle était gracieuse ! oh ! qu’elle était leste, propre et forte ! Elle courait à minuit de cimetière en cimetière, cherchant des objets pour notre art, sans plus de peine et de crainte que de jour. Il n’y avait ni chrétien, ni maure, ni juif dont elle ne visitât la fosse : le jour elle allait à la découverte, le soir elle les déterrait. Elle se plaisait à l’obscurité de la nuit, comme toi à la clarté du jour ; elle disait que la nuit était le manteau de tous les pécheurs. Et adroite ! n’avait-elle pas toutes les grâces ? Je vais te dire une chose qui te montrera quelle mère tu as perdue ; je devrais la taire, mais il ne faut rien te cacher ; tout peut passer avec toi. Elle arracha sept dents à un pendu avec des petites pinces à épiler, tandis que moi, je lui ôtais les souliers. Et pour entrer dans un cercle ? mieux que moi et avec plus de courage, et cependant j’avais assez bonne réputation ; mais maintenant, pour mes péchés, j’ai tout perdu, tout oublié avec elle. Que te dirai-je de plus ? Les diables eux-mêmes la craignaient ; ses cris terribles les effrayaient et les rendaient tout tremblants ; aussi elle était connue d’eux comme tu l’es dans ta