Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/159

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Parmeno. Bon ! c’est une folie d’aimer, et je suis fou et sans cervelle ! Mais si la folie portait à la douleur, on l’entendrait dans chaque maison.

Sempronio. À en juger par ce que tu dis, tu es fou réellement, car je t’ai entendu donner à Calixte des conseils ridicules, contredire Célestine en tout ce qu’elle disait ; tu as refusé ta part de profit pour nuire à la vieille ainsi qu’à moi. Ah ! vilain personnage, murmurateur éternel, tu me tombes sous la main et tu me donnes beau jeu pour te tourmenter ! j’en profiterai.

Parmeno. La véritable force, Sempronio, ne consiste pas à tourmenter et à taquiner, mais à conseiller et à secourir et, mieux encore, à être bienveillant et serviable. Je t’ai toujours regardé comme frère ; pour l’amour de Dieu ! ne réalise pas ce qu’on dit sans cesse, que la plus petite chose peut diviser des amis. Tu agis bien mal avec moi ; je ne sais d’où te vient cette rancune. Prends garde, il est bien rare que les reproches et les sarcasmes ne viennent à bout de la patience.

Sempronio. Je ne dis rien, moi ; je pense seulement qu’il n’y a plus d’enfants dès que tu te mêles d’avoir une maîtresse82.

Parmeno. Tu te fâches, je veux te supporter, bien que tu agisses fort mal avec moi. On dit qu’aucune passion humaine n’est éternelle et même ne dure jamais longtemps.

Sempronio. Tu te conduis bien plus mal avec Calixte ; tu lui conseilles des choses que tu ne fais pas toi-même, tu l’engages à se préserver de l’amour de Mélibée ; tu fais comme une enseigne d’auberge, qui n’est jamais à l’abri et qui l’indique à tout le monde.

Ô Parmeno ! tu peux voir maintenant qu’il est facile de blâmer la conduite d’autrui et qu’il est difficile de mettre la sienne à l’abri du reproche ! Je ne t’en dis pas davantage, tu l’éprouves par toi-même et nous