Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/209

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Calixte. Madame, ne craignez rien, j’ai pris toutes mes précautions. Ce seront sans doute mes gens : ce sont des fous ; ils désarmeront tous les passants ; quelqu’un les aura fuis sans doute.

Mélibée. Ceux que vous amenez sont-ils nombreux ?

Calixte. Non, rien que deux ; mais lors même qu’ils en auraient six contre eux, ils n’auraient pas grand’peine à leur ôter leurs armes et à les mettre en fuite, tant ils sont courageux. Ce sont gens choisis, madame, je ne m’éclaire pas d’un feu de paille. Si ce n’était à cause de votre honneur, ils mettraient cette porte en pièces, et, si on nous entendait, ils nous délivreraient, vous et moi, des gens de votre père.

Mélibée. Oh ! pour Dieu ! n’entreprenez pas une pareille chose ! J’ai grand plaisir que vous soyez accompagné de gens aussi fidèles ; il est bien employé le pain que mangent d’aussi braves serviteurs. Par amour pour moi, seigneur, puisque la nature a bien voulu leur faire une telle grâce, qu’ils soient bien traités et bien récompensés par vous ; faites qu’ils vous gardent le secret en toutes choses ; lorsque vous aurez à corriger leurs fautes, soyez bienveillant avec eux aussitôt le châtiment ; il faut éviter de trop contraindre les cœurs généreux ; leur zèle s’éteint s’ils ne sont pas quelquefois traités avec indulgence.

Parmeno. Hé, hé ! seigneur, retirez-vous promptement, il vient un grand nombre de gens avec des torches ; vous serez vu et reconnu ; vous ne pouvez vous cacher ici.

Calixte. Ô malheureux que je suis ! Je suis obligé, madame, de me séparer de vous. La crainte de la mort a moins de puissance sur moi que le soin de votre honneur. Puisqu’il faut vous quitter, que les anges restent près de vous ! Je viendrai par le verger, comme vous me l’avez prescrit.

Mélibée. Qu’il en soit ainsi ! Dieu vous conduise !