Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/228

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

me semble qu’il y a une heure au plus que nous sommes ici, et l’horloge sonne trois heures.

Mélibée. Seigneur, pour Dieu, puisque tout est à toi, puisque maintenant je suis ton bien, puisque tu ne peux refuser mon amour, ne me refuses pas ta vue, et toutes les nuits qu’il te plaira, viens à la même heure dans ce lieu secret ; car je t’ai attendu avec impatience, et je t’attendrai à l’avenir avec la joie que tu me laisses. Et maintenant, va avec Dieu, tu ne seras pas vu, car il fait très-obscur, et je ne serai pas entendue, car il n’est pas encore jour.

Calixte. Amis, posez l’échelle.

Sosie. Seigneur, la voici, descendez.

Mélibée. Lucrèce, viens ici, je suis seule : mon doux seigneur est parti ; son cœur reste avec moi, il emporte le mien avec lui. Nous as-tu entendus108 ?

Lucrèce. Non, madame, j’ai dormi.

Sosie. Tristan, marchons en silence, car c’est à cette heure que se lèvent les riches, les gens désireux de biens temporels, les dévots des temples, des monastères, des églises, les amoureux comme notre maître, les travailleurs des champs et des labourages, les bergers qui dès le matin amènent les brebis à l’étable pour les traire, et il se pourrait qu’en passant ils recueillissent quelque mot qui pourrait perdre tout l’honneur de Mélibée.

Tristan. Ô le niais ! racleur de chevaux ! tu dis qu’il faut nous taire, et tu la nommes. Tu serais fameux pour guider de nuit les chrétiens dans le pays des Maures. Tu défends en même temps que tu permets ; tu couvres et tu découvres ; tu garantis et tu attaques ; tu te tais et tu cries ; tu questionnes et tu réponds à la fois. Puisque tu es si subtil et si discret, ne pourras-tu me dire en quel mois tombe la Notre-Dame d’août, afin que nous sachions s’il y a assez de paille à la maison pour que tu aies de quoi manger cette année ?

Calixte. Mes inquiétudes et les vôtres ne sont pas