Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/231

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l’amitié, ni la parenté, ni la confraternité ? Ignores-tu que la loi doit être égale pour tous ? Pense que Romulus, le fondateur de Rome, tua son propre frère parce qu’il avait enfreint la loi. Souviens-toi du Romain Torquatus, qui tua son fils pour avoir désobéi à la constitution des tribuns111 ; beaucoup d’autres firent de même. Considère que si ce juge était ici présent, il répondrait que ceux qui agissent et ceux qui consentent méritent une même peine ; que c’est ainsi qu’il les a tués tous deux, bien qu’un seul eût péché ; que s’il a hâté leur mort, c’est que le crime était notoire et qu’il n’y avait pas besoin de beaucoup de preuves ; qu’ils ont été pris sur le fait ; que l’un d’eux était déjà mort de la chute qu’il fit. Je dois croire aussi qu’il fut effrayé par les lamentations de cette pleureuse que Célestine avait dans sa maison ; que, pour éviter le bruit, pour éviter de me déshonorer, pour ne pas attendre que les voisins se levassent et entendissent ses cris, qui auraient attiré sur moi une honte publique, il se hâta de les faire exécuter d’aussi grand matin : car il fallait le bourreau et le crieur pour l’exécution et pour la décharge du juge. Or, si tout cela s’est fait comme je le crois maintenant, je devrai plutôt lui en être obligé et reconnaissant tant que je vivrai, non pas comme à un serviteur de mon père, mais comme à un véritable frère.

Lorsqu’il n’en aurait pas été ainsi, dans le cas où ce qui s’est fait n’aurait pas été pour le mieux, souviens-toi, Calixte, de la grande joie que tu as éprouvée ; souviens-toi de ta dame, de ton bien suprême. Puisque tu lui abandonnerais ta vie sans hésiter, tu ne dois pas faire cas de la mort des autres. Aucune douleur, aucun sacrifice ne payeront jamais le plaisir que tu as éprouvé. Ô ma dame et ma vie ! ne pas penser à toi, c’est t’offenser ; il semblerait que je fais peu de cas de la grâce que tu m’as accordée. Je ne veux pas avoir de sombres idées, je ne veux pas faire alliance avec la tristesse. Ô bien incomparable ! ô contentement insatiable ! que puis-je demander à