Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/256

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cette affaire entre les mains d’un homme aussi dur ; il vaut mieux attendre que scandaliser la ville, ce qui nous ferait plus de tort que ce qui s’est passé.

Areusa. Tais-toi, sœur. Dis-nous-en quelqu’une qui ne fasse pas trop d’éclat.

Centurion. Celles que j’emploie ces jours-ci et qui me sont le plus à la main sont des coups de plat d’épée sur les épaules sans verser de sang, ou des coups de pommeau, ou un revers adroit ; il en est que je pique comme crible à coups de poignard ; je les taillade, je leur donne de hardis coups d’estoc, des coups mortels. Un jour j’en ai assommé un à coups de bâton pour laisser reposer mon épée.

Élicie. Ne va pas plus loin, pour Dieu ! donne-lui des coups de bâton, châtie-le, mais ne le tue pas.

Centurion. Je jure par le saint corps des litanies qu’il n’est pas plus possible à mon bras droit de frapper sans tuer qu’au soleil d’interrompre ses courses accoutumées dans le ciel.

Areusa. Sœur, ne soyons pas pitoyables : qu’il fasse ce qu’il voudra, qu’il le tue à sa fantaisie. Que Mélibée pleure comme tu as fait, laissons-le. Centurion, ne manque pas à ce que nous te recommandons ; de quelque manière que ce soit, nous en serons bien aises ; veille à ce qu’il ne s’échappe pas sans rendre compte de sa faute.

Centurion. Mon Dieu, pardonne-lui s’il se sauve de moi autrement qu’en fuyant. Je me trouve fort heureux, ma reine, qu’il se soit présenté une occasion, bien que petite, de te faire connaître ce que je sais faire par amour pour toi.

Areusa. Que Dieu te donne une bonne main droite ! Je te recommande à lui, nous partons.

Centurion. Qu’il te guide et te donne plus de patience avec tes amis. (Seul.) Qu’elles aillent au diable, ces effrontées putains ! Il faut que je cherche maintenant comment je m’excuserai de ce que j’ai promis, de