Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/259

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es né et que tu as été élevé dans un hameau, où tu brisais des mottes de terre avec une charrue, ce à quoi tu es plus propre qu’à être amoureux.

Penses-y, frère, cherche bien si elle n’a pas voulu plutôt t’arracher quelque point du secret du chemin que nous suivons maintenant, afin qu’elle pût s’en prendre à Calixte et à Plebère de la jalousie que lui donne le bonheur de Mélibée. Prends garde, car l’envie est une maladie incurable ; c’est un hôte qui fatigue l’hôtellerie ; son bonheur est le mal d’autrui. Si c’est bien là la passion qui l’anime, vois comme cette mauvaise femme veut te leurrer à l’aide de son nom connu et de son vice empoisonné qui attire tout le monde. Elle voudrait perdre l’âme pour satisfaire son appétit, renverser tout pour contenter sa volonté damnée. Ô la femme perdue ! comme elle te dorait bien la pilule ! elle vendrait son corps pour causer une querelle. Écoute-moi : si tu crois qu’il en est ainsi, prépare-lui une double trahison, car je te dirai : « À trompeur, trompeur et demi, » tu m’entends ; et « si le renard en sait beaucoup, celui qui le prend en sait bien davantage. » Contre-mine ses méchants projets, escalade ses méchancetés jusqu’à ce que tu la tiennes bien, et tu chanteras ensuite dans ton écurie : « Le cheval pense une chose, et celui qui le selle une autre. »

Sosie. Ô Tristan ! jeune homme sensé, tu parles mieux que ton âge ne le comporte, tu as conçu un soupçon que je crois fondé. Nous voici au verger, et notre maître s’approche ; laissons là ces causeries, elles sont longues, nous les reprendrons un autre jour.

Calixte. Amis, posez l’échelle et taisez-vous ; il me semble que ma douce maîtresse parle dans le verger. Je vais monter sur le sommet du mur, et de là j’écouterai si l’amour veille pour moi en mon absence.


Mélibée. Chante encore, je t’en prie, Lucrèce ; je suis heureuse de t’entendre ; chante jusqu’à ce que