Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/268

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Mélibée. Allons tu l’ordonnes ; montons, mon père, sur la haute terrasse afin que de là je puisse jouir de la vue des barques124 ; peut-être ma souffrance se calmera-t-elle un peu.

Plebère. Montons, et Lucrèce avec nous.

Mélibée. Si tu le veux bien, mon père, fais-moi apporter quelque instrument à cordes avec lequel je puisse distraire ma douleur en jouant ou en chantant, et si mon mal augmente, je pourrai du moins le combattre avec une douce harmonie.

Plebère. Cela sera promptement fait, ma fille ; je vais donner des ordres.

Mélibée. Lucrèce, mon amie, ceci est bien haut. Il me coûte déjà de quitter la compagnie de mon père ; descends vers lui et prie-le de s’arrêter au pied de la tour ; je veux lui dire un mot dont j’ai oublié de le charger pour ma mère.

Lucrèce. J’y vais, madame.

Mélibée. Ils m’ont laissée seule ; tout s’arrange bien pour la mort que j’ai choisie. Je me sens déjà soulagée de penser que mon bien-aimé Calixte et moi serons bientôt réunis. Je vais fermer la porte afin que personne ne puisse monter pour s’opposer à ma mort, à mon départ de ce monde. Qu’on ne me coupe pas le chemin que je veux prendre pour aller visiter aujourd’hui même, en peu d’instants, celui qui m’est venu voir la nuit dernière. Tout se fait selon ma volonté ; je pourrai sans obstacles conter à Plebère, mon père, la cause du parti que je prends. Hélas ! c’est une grande insulte que je fais à ses cheveux blancs, une grande offense à sa vieillesse ; ma faute va lui causer un grand chagrin, et ma mort le laisser dans une grande solitude ! Peut-être ainsi vais-je abréger les jours de mes parents, et combien d’autres cependant ont été plus coupables que moi !

Prusias, roi de Bythinie, tua son père sans aucune raison, sans être entraîné par une douleur comme