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désobéi, j’avais l’humeur grave et mon air auguste : je le traitai comme je n’avais jamais fait, avec une austérité, une vigueur dont je m’étonnai le moment d’après. Il se retira. Trois quarts d’heure après, je descendis pour souper : il était parfaitement dégrisé ; il faisait son service à merveille, il était frais de ma tête, sensé dans ses réponses à ce qu’on lui disait, ferme dans sa démarche aussi bien qu’il soit jamais dans les meilleurs temps ; je n’ai jamais vu de vin passer si vite et si bien ; on n’entendit pas le plus petit bruit à la cuisine. Ce matin, je trouvai, à mon retour de la messe, beaucoup de fleurs à la porte du cabinet, et l’air le plus soumis dans mon homme. Personne n’a rien su de son savon, et je ne pense pas qu’il ait envie de s’en vanter ; je n’ai pas non plus celle d’en instruire ces femelles, qui ont parfois la langue piquante et le ton agaçant, du moins la terrible duègne qui, je crois, en fait enrager deux.

Voilà mes grandes histoires, avec un fouet et un repas d’anachorète donnés à ta petite coquine, qui me dit fort bien qu’elle t’obéit parce que tu es le plus fort, et qu’elle ne doit pas m’obéir si vite parce que je ne suis pas si forte. Cependant je lui ai fait sentir que je l’étais encore plus qu’elle, et elle a fini par convenir que c’était assez pour que ma volonté dût l’emporter sur la sienne ; mais il a fallu inculquer cet argument du bon côté.

J’ai vu hier le Doyen ; grandes amitiés.

Adieu, je t’embrasse de tout mon cœur. — Tu dois avoir une lettre de moi.


255

[À BOSC, À PARIS[1].]
Le 3 octobre [1786], — du Clos.

Vos ferventes prières m’ont rappelée du séjour des ombres[2], et je puis converser avec les vivants. Je ne vous avais pas perdu de vue dans l’autre monde ;

  1. Bosc, IV, 114 ; Dauban, II, 555. — Bosc a légèrement déplacé cette lettre, en la mettant après une lettre du 10 novembre.
  2. Bosc avait dû, se plaignant d’un trop