Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1001

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Depuis que vous nous avez quittés, j’ai pris pour lecture le procès-verbal des Électeurs de 89[1] ; j’aime à me retracer ces grandes scènes, ces moments sublimes et solennels où tout un peuple indigné brise ses fers et reprend ses droits ; j’aime à voir, dans les noms de ceux qui se sont généreusement dévoués à cette terrible époque, le nom d’un ami qui nous est devenu si cher : c’est ajouter au grand intérêt d’une superbe histoire l’intérêt touchant d’un sentiment particulier ; c’est réunir au patriotisme qui généralise, élève les affections, le charme de l’amitié qui les embellit toutes et les perfectionne encore.

C’est ainsi que vous nous préparerez, dans les lectures du temps, si la seconde législature vous emploie, le dédommagement à la distance où il vous tiendrait de nous. Le voyage d’Angleterre[2] me semble très bien vu dans ces circonstances, surtout avec des oreilles assez exercées à la langue du pays pour bien entendre les discussions du Parlement. J’ai vu quelque part que l’Opéra de Londres a donné dernièrement une représentation de la Fédération française au Champ-de-Mars : c’étaient des bravos sans fin et un enthousiasme inexprimable dans les spectateurs ; des députés d’une Société de Bretagne à celle de la Révolution de Londres[3] ; étaient présents et furent accueillis, fêtés en frères, en hommes libres, par des hommes qui se connaissent en liberté.

Je l’avais bien prévu, mes amis arrivent ; les juges de Lyon ne sont pas merveilleux, et il me semble qu’on croit avoir moins gagné à les faire qu’à les

    instruits [lire Bancal et Lanthenas], qui ont fait quelque séjour dans cette ville, nous marquent que l’aristocratie y a jeté le masque… Elle ne met plus de bornes à ses espérances criminelles ; elle y est encore entretenue par un homme dévoué au ministère, intrigant profond, par un sieur Imbert, déjà dénoncé dans ces feuilles, etc. »


    L’Éditeur de 1835 a imprimé Joubert. C’est une faute évidente de lecture. L’adversaire dont parle Madame Roland et que dénonce Brissot est l’ancien échevin de Lyon, Imbert-Colomès (voir lettre du 27 octobre 1789), qui fut en effet, en 1790, le vrai chef du parti royaliste dans cette ville.

  1. Le « procès-verbal des séances et délibérations de l’assemblée générale des électeurs de Paris, etc. », rédigé par Bailly et Duveyrier, venait de paraître, 3 volumes in-12.
  2. Bancal, comme on va le voir, se préparait à aller faire un séjour en Angleterre, auprès de ses amis les quakers révolutionnaires, pour lesquels il était d’ailleurs muni de lettres de recommandation de Brissot.
  3. Voir sur cette Société de la Révolution, qui s’était fondée à Londres, Tourneux, 9038 ; et, sur les rapports de Bancal avec elle, Mège, p. 32.