Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1055

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de vos parents. Je sens bien que le désir de vous revoir ne me fait pas illusion sur les motifs que la nature et la patrie fournissent à votre retour ; car je sais que c’est à ces chers parents que vous vous devez, que c’est près d’eux qu’il faut vous rendre, que c’est avec eux que vous aurez à combiner vos démarches ou votre établissement. Je ne vois plus le moment où vous porterez vos pas de nos côtés ; je ferme mes yeux sur cet avenir ; j’impose silence à toute considération qui ne tiendrait pas essentiellement à vos devoirs et à votre bonheur : tout ce que je sais, c’est qu’ils me sont autant et plus chers que les miens mêmes. Ce que je sais encore, c’est que j’aurai un jour à vous apprendre des choses qui vous étonneront peu, mais qui sûrement vous seront agréables. Je n’ai point passé tout le temps qui s’est écoulé depuis votre absence sans jeter sur le papier diverses choses qui vous sont destinées ; vous les connaîtrez quand l’heure en sera venue ; car je n’ai rien pensé qu’il ne fût digne de moi d’exprimer et qu’il ne soit digne de vous d’entendre. Aussi avais-je pris mes arrangements pour quelles vous parvinssent, lors même que la destinée aurait disposé de moi, ce que j’ai cru prochain durant quelques instants. Nous aurons été ramenés à un même point de vue par des moyens différents ; le demi-jour qui règne dans les tombeaux est plus propre à la vérité que l’éclat éblouissant du soleil.

Ne vous fatiguez point de conjectures, vous avez assez du présent ; achevez vos observations et revenez dans notre patrie, qui serait heureuse si elle avait beaucoup d’enfants comme vous. Il faut pardonner à l’excès des premières douleurs plusieurs expressions qui vous sont échappées. Il n’est plus de repos pour vous, avez-vous osé dire. Eh quoi ! le Ciel a-t-il jamais prononcé le malheur de ceux qu’il anima de son souffle le plus pur, ou n’a-t-il attaché la portion de félicité accordée à l’homme sur la terre qu’à une exemption extraordinaire des misères humaines ? Ô mon ami ! on dirait que vous parlez comme si elles vous avaient été inconnues jusqu’à présent ; et cependant, combien de larmes n’avez-vous pas déjà versées ? Ne blasphémez point, je vous en conjure ; ne soyez point ingrat envers la nature ; si vous souffrez en ce moment, c’est parce que vous avez été doué de plus de biens qu’elle n’en accorde au commun des êtres : il vous en échappera plus d’un encore avant que vous subissiez la loi qui ne fait acception de personne ; sachez apprécier ceux qui vous restent, et vous supporterez moins douloureusement les sacrifices dont il faut les payer. Avec un esprit éclairé qui connaît tous ses devoirs et ne saurait enfin se tromper sur la vertu, avec un cœur généreux qui sait goûter tout ce qu’elle a d’exquis, tu