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une foule de petits intérêts de nos députés propriétaires dans le Comtat, tels que Crillon[1] et autres, empêchent l’Assemblée de reconnaître les droits des peuples et de porter secours aux malheureux. Oui, liez les amis de l’humanité de toutes les nations : il ne faut pas moins que cette confédération générale ; nous sommes trop faibles et trop corrompus pour nous relever seuls ; que la lumière se fasse partout, il est temps que le genre humain sorte du chaos[2].


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[À BANCAL, À LONDRES[3].]
12 mai 1791, — de Paris.

Je ne vous i pas écrit depuis quelque temps, parce que j’ai eu peu de courage à vous entretenir de la chose publique et qu’il serait presque honteux de s’occuper d’objets qui lui fussent étrangers. Il s’en faut tout que je sois contente de notre situation ; la sécurité même de beaucoup de gens qui ne sont pas sans civisme m’est un sujet de regrets, car il faut être bien froid sur les intérêts de cette patrie qu’ils disent aimer, ou bien aveuglés sur la manière de les calculer, pour demeurer calme à la vue de tout ce qui existe. Sans doute, je ne crois pas à ce qu’on appelle une contre-révolution : elle est impossible, grâce, non au patriotisme de la plupart des raisonneurs, mais à la ferme volonté du peuple des villes et des campagnes de conserver des avantages qu’il a commencé de goûter. Je crois à la force et à l’empiétement du pouvoir exécutif, à la plus mauvaise administration des finances, à une détestable organisation du ministère, à une foule de mauvais décrets et de vices constitutionnels qui gênent l’exercice de la liberté, arrêtent les progrès de l’instruction, établissent l’aristocratie des richesses, s’opposent à la régénération du caractère

  1. Il y avait deux Crillon à la Constituante : le marquis de Crillon, député de la noblesse de Troyes, et son frère, le comte de Crillon, député de la noblesse de Beauvais. Il s’agit ici du second, qui a joué un rôle bien plus effacé que le premier.
  2. Bosc ajoute, en post-scriptum : « Je n’ai rien à vous apprendre de particulier. Je suis plus mécontent que jamais de l’Assemblée, mais je ne crois pas que les circonstances extérieures soient inquiétantes. Nous vous attendons bientôt et nous raisonnerons vos projets. Je vous embrasse. L.B. »
  3. Lettres à Bancal, p. 221 ; — ms. 9534, fol. 116-118. Bancal a écrit en marge : « Rép. le 27. »