Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1316

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R[oland] créa cette place, je lui présentai le sujet pour la remplir ; c’est un ancien avocat, aux malheurs duquel on m’avait intéressée, et dont le cœur honnête, exercé par la souffrance, est infiniment propre à ces fonctions touchantes. Je ne songeais plus à lui. Il est impossible de se représenter l’attendrissement avec lequel il est accouru ; sa vue m’a été bien agréable. Comme sa place lui donne des droits et une sorte d’ascendant, il en a usé auprès du concierge, et c’est, avec l’honnêteté de celui-ci, ce qui contrebalance l’effet des ordres tyranniques de la commune à mon égard. J’ai donné son nom à Mad. G. [Goussard] pour qu’un de tes amis dont elle m’a parlé en eût l’ordre au concierge de le laisser entrer. Mad. G. [Goussard] m’a dit aussi que Barbaroux m’avait écrit ; je n’ai rien reçu ; il paraît que la pauvre dame Roland de la Conciergerie aura ces lettres, à moins qu’elles n’aient été interceptées et portées au Tribunal révolutionnaire, par qui cette jeune et malheureuse femme a été jugée. Comme les coquins en appuieraient leurs criailleries sur vos prétendues intelligences avec la Vendée ! Infamies qu’ils font répéter chaque jour au peuple de cette triste cité.

J’adresse à Gorsas[1] quelques imprimés qui me concernent ; je ne veux pas que tu lises le Duchesne, il te ferait pester, et ç’aurait été pis si tu eusses entendu les colporteurs qui ajoutaient merveilleusement au texte.

La section[2] est bonne ; elle n’a pas voulu aller avec les autres, le 2 juin ; les citoyens ont dit qu’ils voulaient garder leurs propriétés et la prison ; il y avait dix mille âmes sous les armes autour de l’Abbaye. Le commandant de la force armée est un Jeanson[3], qu’on dit fort honnête homme et que je sais s’être

    226. — Cf. lettre 492. — Voir aussi Mém. de Beugnot ; Dauban ; les Prisons de Paris pendant la Terreur, p. 177, 294 ; Wallon, Trib. révol, III, 75 ; Tourneux, 3254 et 6218. — Madame Roland dit « un ancien avocat ». Est-ce « Le Moyne de Granpré, avocat au Parlement depuis 1751, demeurant en 1789 quai de Bourbon, ile Saint-Louis » (Alm. royal) ? On verra plus loin qu’en 1793 il habitait avec Sophie Grandchamp.

  1. Gorsas (1752-1793), le journaliste bien connu, député de Seine-et-Oise à la Convention, avait été décrété d’arrestation le 2 juin, mais s’était dérobé. Le 9 juin, il était arrivé à Caen et y avait aussitôt repris son rôle de journaliste (Bulletin des autorités constituées à Caen, 8 nos, Hatin, p. 240 ; cf. appendice aux Mém. de Meillan, éd. Barrière, p. 241-270). Mis hors la loi le 28 juillet, découvert à Paris le 7 octobre, il fut guillotiné le même jour.

    On voit que, parmi les « imprimés » que Madame Roland envoyait à Gorsas, se trouvait l’immonde n° 248 d’Hébert.

  2. La section de l’Unité, dans laquelle se trouvait l’Abbaye.
  3. Jean-Baptiste-Auguste-Aimé Janson, 45 ans électeur de la section (Alm. nat. de 1793, p. 374).