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vertus. Dès lors, Roland parut redoutable aux brigands qui profitent des révolutions pour s’enrichir, aux ambitieux qui les perpétuent pour augmenter leur puissance, et aux hommes turbulents, égarés, qui n’ont d’activité que pour détruire et qui sont toujours prêts de croire à la perfidie des sages qui veulent édifier.

Voilà les crimes de Roland. Les miens sont de m’honorer des principes qu’il professe et d’avoir un courage égal au sien. Je n’ai point été effrayée des dangers que son caractère et son inflexible probité lui faisaient courir, de même que je n’avais pas été séduite par l’espèce d’éclat qui environne une place difficile, de même que je ne suis point abattue dans les fers où l’on m’a jetée.

Femme d’un ministre honoré, ou prisonnière à Sainte-Pélagie, ici comme là, je vaux, j’existe par les sentiments dont mon cœur est animé. Aujourd’hui comme alors, indignée contre l’injustice, mais également ferme et paisible, dans la bonne ou la mauvaise fortune, digne de la première, et supérieure à la seconde, je ne mets de prix à la vie que pour pratiquer ce qui est juste, et rendre hommage à la vérité.

Mes concitoyens voudront bien accueillir cette profession de foi que je n’eusse jamais songé à rendre publique, si un abus d’autorité ne m’inculpait d’une manière publique. Ceux qui me connaissent y retrouveront l’expression abrégée de ce que je suis en effet ; j’en appelle à leur témoignage pour venger ma personne ou ma mémoire des atteintes de la calomnie.


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[À BUZOT, À CAEN[1].]
6 juillet [1793, — de Sainte-Pélagie].

Je l’ai vu hier pour la seconde fois cet excellent V.[2]. Il m’a remis les tiennes du 30 et du 1er. Je ne les avais point ouvertes en sa présence. On ne lit point son ami devant un tiers, tel qu’il soit et connût-il ce dont il est porteur.

  1. Publiée en 1864, en fac-similé, par M. Dauban (Étude sur Madame Roland; p. 33-36). — Ms. 1730.
  2. Vallée. Jacques-Nicolas Vallée (1754-1828), député de l’Eure à la Convention, fut, en juin et juillet 1793, un des intermédiaires les plus actifs entre les Girondins réfugiés à Caen et leurs collègues détenus à Paris (voir les lettres de Barbaroux à de Perret, publiées par Champagneux, III, 413-429). C’est chez son frère, curé constitutionnel du Vieil-Évreux, que Buzot