Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1333

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chiraient mon faible cœur. Je suis où l’a voulu la destinée ; on dirait qu’attendrie sur mes maux, touchée des combats qu’elle-même m’avait imposés, elle a préparé les événements qui devaient me procurer quelque relâche et me faire goûter le repos ; elle s’est servie de la main des méchants pour me conduire dans un port ; elle les emploie à faire du bien malgré eux, et à dévoiler toute leur noirceur de manière à inspirer cette haine avant-coureur de leur chute ; elle offre à mon courage l’occasion d’être utile à la gloire de celui avec qui elle m’avait liée ; elle cède à ma tendresse la liberté de se développer en silence et de s’épancher dans ton sein. Ô mon ami, bénissons la Providence ; elle ne nous a pas rejetés, elle fera plus un jour peut-être ; vengeons-nous toujours à mériter ses bienfaits de la lenteur qu’elle paraît mettre a les accorder.

J’ai oublié de te dire que Duperrey[1], à qui j’avais eu l’idée d’écrire sans savoir qu’il eût en rien pour moi, m’a mandé qu’il avait longtemps gardé deux lettres qui m’étaient destinées, cherchant inutilement comment me les faire parvenir, qu’enfin il les avait remises à P[etion], mais que celui-ci était parti le lendemain et qu’il les avait probablement emportées. — Je croirais plutôt qu’il les aurait égarées ou perdues, c’est mieux dans sa trempe un peu froide et négligente. Au reste, tu es à même de t’en informer aujourd’hui, et c’est pour cela que je te mets au courant[2].

Sans doute que tu as vu maintenant la Mère d’Adèle, notre bon ange. C’est ainsi qu’elle veut être désignée dans ces écrits, et tu sauras le nom qu’elle a imaginé de me donner avec sa sœur. Je n’ai vu celle-ci non plus qu’une fois. Le lieu que j’habite est à une grande distance des quartiers fréquentés, et il faut être fort réservé dans les démarches pour se conserver des moyens de communiquer, car les tyrans épient tout et s’opposent à tout.

J’ai beaucoup applaudi dans le principe à la résolution des départements de n’agir que tous ensemble. Je ne sais maintenant si ces délais, qui donnent à l’ennemi tant de facilités pour se mettre en mesure, ne deviendront pas funestes à la bonne cause. On fait venir en poste un bataillon de Metz ; l’argent et l’intrigue ne sont pas épargnés, et leur effet est redoutable dans une masse aussi corrompue. Il est vrai que la majorité des Parisiens ouvrira les bras aux frères

  1. Lauze de Perret.
  2. On pourrait induire de ce passage que les lettres de Buzot de 15 et 17 juin, apportées à Madame Roland le 22, par Mme  Goussard, ne seraient pas celles qui, transmises par Barbaroux à de Peret, auraient été remises par celui-ci à Petion, et par Petion à Mme  Goussard (voir page 481, note 2). Mais il nous semble que Madame Roland doit se tromper ici.