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[À JANY, À PARIS[1].]
Vendredi 25 octobre [1793, — de Sainte-Pélagie].

Vous n’imaginerez jamais, cher Jany, tout ce que j’ai souffert de contrariété à ne pouvoir vous entretenir à l’aise, ni même vous lire à loisir : je sentais l’huissier sur mes talons ; j’avais peur pour vous. Je me trouve comme si j’étais attaquée de la peste. Je n’ai plus rien à perdre ; mais je suis en transes pour ceux qui m’abordent : c’est au point qu’hier, au Palais, j’ai hésité à rendre le salut à un homme que je reconnaissais et que je trouvais bien imprudent d’être poli publiquement envers moi.

J’ai entendu cet acte d’accusation, prodige de l’aveuglement, ou plutôt chef d’œuvre de la perfidie. Lorsqu’il a été lu, le défenseur Chauveau[2] a observé avec beaucoup de ménagements que, contre toutes les formes, les pièces à

  1. Cette lettre a paru dès 1795, dans la première édition des Mémoires donnée par Bosc (Appel à l’impartiale postérité, 2° partie, p. 82) ; elle a été réimprimée par tous les autres éditeurs, Champagneux (II, 364), Barrière (II, 266), Dauban (Mém., 396), Faugère (II, 270). — Elle est au ms. des Mémoires, à la Bibliothèque nationale.

    Au manuscrit, il y a 24 octobre, date inexacte, car le 24 était un jeudi et non un vendredi*. Bosc et tous les autres éditeurs ont reproduit cette distraction de l’autographe, à l’exception de M. Faugère, qui a rétabli avec raison « Vendredi, 25 octobre ». Il suffit d’ailleurs de relire la lettre pour voir qu’elle est bien du vendredi 25 ; c’est le 24 que s’était ouvert le procès des Girondins et que Mme  Roland avait été conduite au Palais, et c’est le lendemain qu’elle en entretient Jany. M. Barrière a bien vu que la lettre avait été écrite après l’audience du 24, mais il la suppose écrite « le soir après la séance  ; il n’a pas remarqué ces mots « hier au palais… »


    *. Madame Roland avait même écrit septembre. C’est Bosc qui a surchargé et mis octobre, avec toute raisn.

  2. Chauveau-Delagarde (1756-1841) était avocat à Paris depuis 1783. Il dut, au début de la Révolution, avoir des liaisons avec Brissot. (Voir deux lettres de lui au Patriote français, des 15 février 1790 et 25 septembre 1791.) On connaît le rôle d’honneur qu’il eut pendant la Terreur. Arrêté le 16 octobre, le jour de l’exécution de Marie-Antoinette dont il avait été le défenseur, il fut cependant relâché le même jour. (P.V.C., 16 octobre 1793.)

    Madame Roland, qui le connaissait (c’est lui qui avait défendu la mère de Mme  Petion, voir lettre 545, note 2), le désigna, dans son interrogatoire du 3 novembre, pour son défenseur (Mém., I, 323, 415).

    Ce n’est pas lui cependant qui la défendit. Il a fait depuis (voir Barrière, Notice sur Madame Roland, p. xliii-xliv du t. I de son édition des Mémoires) un récit dra-