Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1436

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Partout j’avais ramassé des échantillons et des matières et des étoffes que j’avais vues ; partout j’avais pris la note des dimensions, des prix, des temps, des lieux et des frais de route et de traite, et fait la réduction des ouvrages et de monnaies ; nulle part je n’avais trouvé à me fournir en aussi grande abondance ; je rapportai des ballots et des volumes, et cette fois, comme toutes les autres semblable, j’ouvris les uns et les autres : échantillons, ustensiles, machines, pratiques, procédés, notes, tout ; je répandis au profit de nos fabriques et de notre commerce, avec la même ardeur que j’avais ramassé.

Je fus à Nuremberg, pour la quincaillerie ; à Lintz, pour ses étoffes ; à Vienne, pour ses nouvelles entreprises en divers genres dont l’état est noté dans un mémoire à part ; en Bohème, pour ses toiles et ses toileries dans le goût de celle de la Silésie dont elle est voisine ; en Saxe, pour ses manufactures d’étoffes rases et sèches, d’une finesse et d’une beauté rares ; à Berlin, pour ses établissements de beaucoup d’espèces, également observés et notés.

Je revins par Brunswick, le Hanovre et la Westphalie ; je parcourus le Bas-Rhin, Wesel, Crevelt, où sont les manufactures de rubans de soie brochés en or et argent faux, si répandus en Allemagne, et surtout celle des rubans veloutés, que j’avais à cœur, dont la fabrication était inconnue en France où je la rapportai. Je visitai les fabriques des duchés de Berg et de Julliers, Aix-la-Chapelle, Montjoie, Verviers, pour leurs draperies ; Stolberg, pour la conversion de la rosette en laitoir ; Liège, pour ses papeteries et ses imprimeries. Je ne négligeai ni les mines, ni les carrières, non plus que les exploitations de fer, d’alun, de charbon de terre, de marbre et d’ardoise.

Au sujet de l’imprimerie et des papeteries établies à Liège, à Bouillon, à Yverdun, à Génève, à Vienne, à Berlin, dans plusieurs autres villes d’Allemagne et aux environs, j’avais observé que nous avions tiré du néant ces établissements et que nous leur donnions journellement de la consistance par la loi bursale qui impose énormément nos propres papiers pour notre propre usage, et par la loi contradictoire qui permet l’entrée des livres étrangers en exemption de droits ; et ce fut dans le temps l’objet d’un mémoire particulier.

Deux motifs principaux doivent déterminer une nation commerçante à perfectionner les objets sur lesquels son commerce est fondé : celui d’empêcher l’introduction des choses étrangères, et celui de placer son superflu dans l’étranger. On s’abuserait si l’on voulait donner au mot perfection toute autre acception que celle qui naît de la fantaisie, loi impérieuse à laquelle il faut que tout artiste se soumette.

Dès son retour, il envoya une première relation à Trudaine, qui lui répondit le 28 novembre 1775 : « J’ai lu avec beaucoup de plaisir, Monsieur, le précis de vos observations sur le commerce de l’Allemagne, et j’ai beaucoup d’impatience de voir les mémoires détaillés que vous m’annoncez. J’ai souvent fait, comme vous, la réflexion que l’industrie de tous les genres se trouve arrêté en France par les règlements, qui sont presque le seul obstacle qui s’y rencontre. Il y a longtemps que je pense qu’autant les instructions détaillées sont utiles dans les pays où l’industrie n’est pas encore établie, autant les règlements multipliés et minutieux sont destructifs dans un pays où l’industrie commence à être dans un état de vigueur et de prospérité. Je ne puis qu’applaudir au projet que vous avez conçu de faire imiter plusieurs étoffes dont vous avez vu les succès en Allemagne. Soyez sûr que vous ne pouvez rien faire de plus utile à l’État, et que je ferai tous mes efforts pour vous y seconder. Je suis, etc… » (Mémoire des services.)

Mais déjà, à cette date, un orage avait éclaté entre les officiers municipaux d’Amiens et