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C’est à ce moment-là, soit dans les deux jours d’alarmes qui précédèrent son arrestation, soit immédiatement après, que Champagneux brûla ou fit brûler, par prudence, les cahiers des Mémoires de Madame Roland qu’il avait chez lui[1].


§ 4. La prison.

Il resta détenu pendant plus d’une année, à La Force jusqu’au 14 juillet 1794, aux Madelonnettes jusqu’au 11 août suivant. Il nous a laissé, sur cette longue captivité, qu’il partagea avec les Soixante-treize, et où il vit de près Adam Lux, Miranda, Achille du Chastellet, Valazé et Vergniaud, des souvenirs intéressants[2], auxquels nous ne pouvons que renvoyer le lecteur. Notons seulement que, même alors, il resta en communication avec la prisonnière de Sainte-Pélagie (voir lettre 552).

Un homme si laborieux ne pouvait manquer d’utiliser le loisir que venait de lui faire Collot-d’Herbois. Il composa dans sa prison une Histoire de France, — un drame ! — des Mémoires personnels (probablement perdus), — des Mémoires historiques, dont nous avons retrouvé quelques pages aux Papiers Roland[3]. Mais il écrivait aussi requêtes sur requêtes aux autorités révolutionnaires pour réclamer sa liberté, rappeler ses services et réfuter les dénonciations portées contre lui. (Tout ce dossier existe au ms. 6241, fol. 160-196.) Une de ces dénonciations était plus redoutable pour lui que toutes les autres. C’était celle d’Amar, dans son terrible rapport du 3 octobre, le signalant comme ayant associé sa plume, en faveur du ministère Roland, à celles de Brissot et de Louvet. Nous n’essayerons pas d’analyser la défense de Champagneux ; elle est plus adroite que fière ; partout il atténue, il esquive les points embarrassants, il s’efface. Sur la question de l’Esprit public, il renvoie à l’Almanach national de 1793, où Letellier est indiqué comme chef de ce service. Il nie avoir eu « aucune relation, quelle qu’on la puisse concevoir, avec Brissot, Louvet, ni avec aucun des députés décrétés d’accusation ou d’arrestation ». Il n’a jamais eu « ni relation ni correspondance avec Barbaroux ». Il n’a jamais de sa vie parlé à de Perret. En même temps, il envoie au Comité d’instruction publique de la Convention une longue notice sur Chalier, où il se réclame d’avoir été son compagnon de luttes à Lyon en 1791 et 1792. Mais si les plaidoyers de Champagneux n’ont rien d’héroïque, ils restent honnêtes ; nulle part, il ne renie Roland et, même en se déclarant étranger au Bureau d’esprit public, « sans relations avec ceux qui en étaient chargés », il ajoute : « En donnant ces éclaircissements, je suis bien éloigné de me rendre accusateur et de conjurer l’orage sur eux. Mais je dois la vérité tout entière, et on trouvera sans doute bien extraordinaire que, les coopérateurs de Roland dans le Bureau d’esprit public jouissant de leur liberté et de leurs places, moi étranger à leurs opérations et à eux, je sois puni pour ce qu’on leur impute… ».

À sa captivité s’ajoutaient de cruels soucis de famille. Son fils aîné, Benoît-Anselme,

  1. Voir notre Étude critique sur les manuscrits de Madame Roland, dans la Révolution française de mars et avril 1897.
  2. Au tome II, p. 389-440, de son édition des Œuvres de Madame Roland, sous le titre de Notice de l’éditeur, etc…
  3. Nous les avons publiées dans le Revue historique de janvier-avril 1897.