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mais qu’on peut douter qu’ils aient trouvé alors un imprimeur, quand la simple lettre du 7 septembre n’en pouvait trouver aucun. Dès lors, l’histoire de Robespierre faisant brûler l’édition et même le manuscrit ressemble fort à une légende. Le bruit recueilli par Champagneux permettrait tout au plus de supposer qu’un des dépositaires aurait brûlé les cahiers les plus compromettants, ceux qui visaient plus directement Robespierre, bien qu’il en reste encore d’assez véhéments.

3° Que si Champagneux se trompe en croyant qu’on avait sauvé « un exemplaire », c’est-à-dire un imprimé, et en le supposant aux mains de R… [probablement Riouffe], il savait cependant vaguement que l’œuvre subsistait[1] ;

4° Que le véritable dépositaire des manuscrits de Brissot, c’était Mentelle. Là encore, nous avons le témoignage particulièrement autorisé de M. de Montrol qui, le premier, trente-sept ans après, publia en 1830 les Mémoires de Brissot, à lui confiés par la famille. Dans sa préface (t. I, p. xix), il dit expressément : « Les manuscrits de Brissot étaient connus de tous les amis de sa famille. Ils ont été longtemps entre les mains de Mentelle, membre de l’Institut, et du géographe Pinkerton, qui avait eu le dessein de les publier en Angleterre ». Et plus loin (I, p. 308, note) : « Il [Mentelle] a eu longtemps dans ses mains le manuscrit de ses Mémoires, en marge duquel il a écrit quelques notes que nous avons conservées[2] ».

Il est donc hors de doute que Mentelle avait reçu les « cahiers » de Brissot, en un temps et dans des circonstances où il y avait péril. Cela rend singulièrement significative la phrase de la lettre que lui écrit Madame Roland au milieu d’octobre 1793 (Correspondance, lettre 550) : « Je ne veux point voir les cahiers de B… que lorsque vous en auriez un double ; il y aura toujours du danger dans les transports et il ne faut pas risquer une perte irréparable ».

Deux pièces fort curieuses des Papiers Roland (ms. 9533, fol. 232-238), provenant de la collection Villenave[3], toutes deux de la main de Mentelle, permettent de croire qu’il essaya même de faire appel aux Parisiens en faveur de son malheureux ami. L’une (fol. 237-238) est intitulée : « Aux patriotes qui recherchent la vérité ». Elle débute ainsi : « Peuple français, et vous, honnêtes Parisiens, vous tous dont il est si facile d’enflammer le cœur et d’égarer la raison, écoutez-moi et apprenez que ce Brissot, retenu aujourd’hui dans les fers et que l’on veut couvrir de l’indignation publique, est l’un des plus ardents amis de la vertu, de l’ordre et des lois… ». Suit un chaleureux plaidoyer, qui est surtout un exposé de la vie de Brissot. Est-ce un article de journal resté à l’état de projet, car aucune feuille n’aurait osé l’insérer ? Est-ce un placard destiné à être affiché clandestinement ? Nous ne saurions le dire. Tout ce que nous voyons, c’est que la pièce a été écrite entre le 23 juin 1793, jour où Brissot fut écroué à l’Abbaye, et le 13 juillet, c’est-à-dire avant l’assassinat de

  1. Ce que Riouffe, avait eu et avait publié dès 1795, c’était, comme nous l’avons dit plus haut, la lettre à Barère du 7 septembre 1793.
  2. Voir, en effet, I, 277-278 ; II, 99, 390-391.
  3. Villenave a écrit en marge du fol. 237 : « Autographe d’Edme Mentelle, 1793 ; 9 brumaire an ii, 30 octobre 1793 ». Cette dernière date est celle de l’exécution de Brissot, mais on va voir qu’elle n’indique nullement le jour où la pièce fut écrite. Villenave a lu bien superficiellement.