Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/438

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rai pas, suivant l’occasion. J’ai été ramenée, comme j’avais été conduite, en voiture, et cela n’était pas déplacé, car, en vérité, je ne me sens aujourd’hui ni force ni courage, par la raison peut-être que je n’ai pas d’occasion saillante à les exercer et que, dans ce moment d’inaction, c’est une forte dose de patience dont j’ai le plus de besoin.

Le frère t’aura embrassé ces jours-ci ; tu auras pu remarquer que son voyage a été avancé et que je n’en ai pas été prévenue assez à temps pour lui apprendre que je ne me trouverais pas à la maison. Je ue sais comme il se fait qu’il n’ait point eu mon adresse ; je m’étais persuadée avoir daté, comme en écrivant à Dieppe, de l’hôtel de Lyon. M. Brunel[1] est ici, comme tu sais ; il est déjà venu bien des fois pour voir M. Lanthenas qu’il n’a point rencontré et que, dans tous les cas, j’ai prié de ne point dire, autant qu’il le pourrait éviter sans affectation, que je suis ici, tant je redoute les visites del fastidioso signore.

La bonne tombe un peu dans la mélancolie. J’ai beau lui faire remarquer les objets propres à la frapper dans cette grande ville, elle trouve tout cela bien beau, mais elle voudrait le regarder avec Eudora et elle ne saurait prendre goût qu’au chemin de la rejoindre.

Aie bien soin de toi, mon bon ami, je t’embrasse de tout mon cœur.

J’aurais bien besoin d’être utile à nos bons amis pour soulager mon cœur du chagrin de nos misères, mais je sens que j’oublierai toutes celles-ci quand je pourrai te revoir et je te jure bien, fra noi, ch’io non ho più gusto per il viaggio d’Inghilterra, ne per niente che dovesse tenermi allontanata di te[2].

J’ai fait de l’anglais avec le frère, puis j’ai causé avec l’ami d’Antic, qui est venu m’apporter la jolie lettre[3] ; tout cela m’a ranimée ; je me trouve une fois mieux.

  1. Brunel, — inconnu.
  2. Comme on le verra plus loin, Roland avait projeté de faire un voyage en Angleterre avec sa femme, sans demander de congé à son administration.
  3. Probablement la lettre de Roland du 16 avril (ms. 6240, fol. 192-193). — Roland donnait force nouvelles du logis : « Hier, le frère [le prieur de Crespy] arriva… Il faisait beau et, après la petite causerie, je