Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/474

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Paris, le zèle suppléerait peut-être ou même ferait naître en moi les talents de solliciteur.

C’est par le sentiment du peu que je vaux pour ça et faute d’avoir éprouvé ce que l’amitié m’en ferait sûrement acquérir, que j’ai pu douter que vous m’en trouvassiez assez pour me charger de votre affaire. Mais un peu de patience, et j’espère qu’elle sera terminée plus vite que la chère sœur n’ose l’espérer (la voilà bien en train). Je suis persuadé que le mouton finira par conduire tous les ours possibles et ceux qu’il a d’abord arrêtés.

Et la petite Eudora, coupe-t-elle encore les restes des jarretières rouges[1] ? l’air grave et sérieux quelle y a mis a beaucoup amusé sa maman et nous a fait beaucoup rire. Nous avons fait hier un peu d’anglais avec M. Parault, qui est on ne peut pas plus sensible à votre souvenir et aux choses obligeantes que votre moitié lui a dites pour vous.

Il est sur le point de prendre aussi un nouveau parti. Le jeune homme qu’il a élevé va partir pour Londres. Se chargera-t-il d’un autre qu’on lui propose ! C’est ce qui n’est pas encore décidé pour lui ; mais, dans trois ou quatre ans, le père du premier promet de l’envoyer avec des avantages dans une maison de commerce qu’il a à Pondichéry. Moi, je serai à Charlestown ou à Philadelphie ; nous aurons, pour nous communiquer alors, peut-être des motifs d’affaires qui seraient fort doux, s’ils étaient toujours ainsi joints à tous ceux de l’amitié et d’une confiance parfaite. Vous philosopherez, mon ami, tranquillement au Clos sur l’agitation de la vie humaine ; nos lettres viendront vous y trouver, et nous, qui serons encore dans le tourbillon, nous serons consolés et soutenus en recevant les vôtres.

Adieu, mon ami, ménagez-vous. Je vous embrasse corde et animo.

  1. Roland avait en effet écrit à sa femme, le 1er mai (ms. 6240, fol. 217-218) : « J’ai de grands griefs à te conter contre ton petit monstre d’Eudora ; ne va pas rire au moins : elle m’a coupé mes jarretières en morceaux, et cette belle œuvre, elle l’a faite, assise à terre à côté de moi, dans mon cabinet… » — Après avoir reçu cette lettre du 3 mai et le post-scriptum de Lanthenas, il écrit le 5 (ibid, fol. 225-226) : « Ce n’est pas sans peine que s’est terminée la lecture de l’appendice à la dernière lettre. Quelle diable de perspective ! L’un à Philadelphie, l’autre à Pondichery, et nous qu’on place au Clos !… Et sans espoir de se revoir jamais ! Pour moi, du moins… »