Page:Rolland - Au-dessus de la mêlée.djvu/103

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

93
LES IDOLES

ni de l’autre, ils n’ont fait grand honneur à l’intelligence, ils n’ont pas su la défendre contre les souffles de violence et de folie. Une grande parole d’Emerson s’applique à leur déroute :

« Nothing is more rare in any man than an act of his own. »

( « Rien n’est plus rare dans un homme qu’un acte qui vient de lui, en propre. » )

Leurs actes et leurs écrits leur sont venus des autres, du dehors, de l’opinion publique aveugle et menaçante. Je ne veux pas faire tort à ceux qui ont dû se taire, soit qu’ils fussent à l’armée, soit que la censure qui règne dans les pays en guerre leur ait imposé silence. Mais la faiblesse inouïe avec laquelle les chefs de la pensée ont partout abdiqué devant la folie collective, a bien prouvé qu’ils n’étaient pas des caractères.

Certains passages de mes livres, un peu paradoxaux, m’ont fait accuser parfois d’être un antiintellectuel : ce qui serait absurde pour qui a, comme nous, donné sa vie au culte de la pensée. Mais il est vrai que l’intellectualisme m’a paru trop souvent une caricature de la pensée, une pensée mutilée, déformée, pétrifiée, impuissante non seulement à dominer le spectacle de la vie, mais même à le comprendre ; et les événements d’aujourd’hui m’ont donné plus raison que je ne l’eusse souhaité. L’intellectuel vit trop dans le royaume des ombres, dans le royaume des idées. Les idées n’ont aucune