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LES IDOLES

de jour en jour l’âcre fumée de la haine et qui, d’une tranchée à l’autre, fraternisent, les écrivains redoublent d’arguments furieux. Prophétisons sans peine qu’alors qu’entre les peuples sera éteint le souvenir de cette guerre insensée, ses rancunes couveront encore dans le cœur des hommes de pensée…

Qui brisera les idoles ? Qui ouvrira les yeux à leurs sectateurs fanatiques ? Qui leur fera comprendre qu’aucun Dieu de leur esprit, religieux ou laïque, n’a le droit de s’imposer par la force aux autres hommes, même s’il semble le meilleur, ni de les mépriser ? En admettant que votre Kultur fasse pousser sous votre engrais germanique la plante humaine plus grasse, plus abondante, qui vous donne le droit d’en être les jardiniers ? Cultivez votre jardin, nous cultivons le nôtre. Il est une fleur sacrée, pour laquelle je donnerais tous les produits de votre flore domestiquée : c’est la violette sauvage de la liberté. Vous ne vous en souciez pas, vous la foulez aux pieds. Mais elle ne mourra point, elle durera plus longtemps que vos chefs-d’œuvre de casernes et de serres ; elle ne craint point la bise, elle a affronté d’autres tempêtes que celle d’aujourd’hui ; elle pousse sous les ronces et sous les feuilles mortes… Intellectuels d’Allemagne, intellectuels de France, labourez et semez les champs de votre esprit ; mais respectez celui des autres. Avant d’organiser le monde, vous avez