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AU-DESSUS DE LA MÊLÉE

Mais de tous les poètes allemands, celui qui a écrit les paroles les plus sereines, les plus hautes, le seul qui ait conservé dans cette guerre démoniaque une attitude vraiment goethéenne, est celui que la Suisse s’honore d’avoir pour hôte et presque pour fils adoptif : Hermann Hesse. Continuant de vivre à Berne, à l’abri de la contagion morale, il s’est tenu délibérément à l’écart du combat. On se souvient du bel article de la Neue Zûrcher Zeitung (3 novembre), reproduit par le Journal de Genève (16 novembre) : « O Freunde, nicht diese Töne !  » où il adjurait les artistes et les penseurs d’Europe « de sauver le peu de paix » qui pouvait encore être sauvé et de ne pas « saccager », eux aussi, avec leur plume, l’avenir européen. Il a écrit, depuis, quelques belles poésies, dont une, invocation à la Paix (Friede), dans sa simplicité classique, est un lied émouvant qui trouvera le chemin de bien des cœurs oppressés :

Jeder hat’s gehabt,
Keiner hat’s geschœtzt.
Jeden hat der süsse Quell gelabt.
O wie klingt der Name Friede jetzt !

Klingt so fern und zag,
Klingt so tranenschwer,
Keiner weiss und kennt den Tag,
Jeder sehnt ihn voll Verlangen her…

(Chacun l’a possédée. Personne ne l’a appréciée. Chacun s’est rafraîchi à la source douce.