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INTER ARMA CARITAS

de fièvre, tout vibre et se répercute. Chaque parole, chaque acte amène des représailles. À qui souffle la haine, la haine lui rejaillit à la face et le brûle. Héros de cabinet, matamores de la presse, les coups que vous portez atteignent bien souvent, sans que vous vous en doutiez, les vôtres, vos soldats, vos prisonniers livrés aux mains de l’ennemi : car ils répondent pour vous du mal que vous avez fait ; et vous vous dérobez.

Il ne dépend pas de nous que la guerre s’arrête ; mais il dépend de nous qu’elle devienne moins âpre. Il y a des médecins du corps. Il en faudrait de l’âme pour panser les blessures de rancune, de vengeance, dont nos peuples sont empoisonnés. Que ce soit notre office, à nous qui écrivons ! Et tandis que le rucher de la Croix-Rouge fait son miel au milieu du combat, comme les abeilles de la Bible dans la gueule du lion mort, — tâchons de le seconder, et que notre pensée aille, à la suite des ambulances, relever les blessés sur les champs de bataille ! Que Notre-Dame la Misère pose sur le front de l’Europe démente sa main sévère et secourable ! Qu’elle ouvre les yeux à ces peuples aveuglés par l’orgueil, et qu’elle leur montre qu’ils ne sont, les uns et les autres, que de pauvres troupeaux d’êtres, égaux devant la douleur, et qui ont assez à faire de la combattre ensemble pour ne pas y ajouter !


Journal de Genève, 30 octobre 1914.