Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/114

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rent tous sur le dos, raillant, disant qu’on connaissait mon goût, et me nommant vieux fou, Breugnon bouge-toujours, le pérégrin, l’errant, Breugnon frotteur de routes… c’est vrai que, dans le temps, j’en ai usé beaucoup. Lorsque notre bon duc, le père de celui d’aujourd’hui, m’envoya à Mantoue et à Albissola, afin d’étudier les émaux, les faïences et les industries d’art, que depuis nous plantâmes dans la terre de chez nous, je n’ai pas ménagé les routes ni la semelle de mes pieds. Tout le trajet de Saint-Martin à Saint-André-le-Mantouan je l’ai fait, le bâton au poing, sur mes deux jambes. Il est plaisant sous ses talons de voir la terre qui s’allonge et pétrir la chair du monde… Mais n’y pensons pas trop : je recommencerais… Ils se moquent de moi ! Eh ! je suis un Gaulois, je suis un fils de ceux qui pillaient l’univers. « Que diable as-tu pillé ? me dit-on en riant, et qu’as-tu rapporté ? » — « Autant qu’eux. Plein mes yeux. Les poches vides, c’est vrai. Mais la tête gavée. » … Dieu ! que c’est bon de voir, d’entendre, de goûter, de se remémorer ! Tout voir et tout savoir, on ne peut pas, je sais bien ; mais tout ce qu’on peut, au moins ! Je suis comme une éponge qui tette l’océan. Ou bien plutôt, je suis une grappe ventrue, mûre, pleine à crever du beau jus de la terre. Quelle vendange on ferait si on l’allait presser ! Pas si bête, mes fils, c’est moi qui la boirai ! Car vous la dédaignez. Eh bien, tant mieux pour moi ! Je n’insisterai pas. Autrefois, j’ai voulu partager avec vous les miettes du bonheur que j’avais ramassé, tous mes beaux souvenirs des pays