Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/155

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que l’étoffe ; les trahisons d’amis et les folies des hommes ; les religions meurtrières et les guerres civiles ; ma France déchirée ; les rêves de mon esprit, mes œuvres d’art pillées ; ma vie, une poignée de cendres, et le vent de la mort qui vient… Et pleurant doucement, mes lèvres appuyées contre le flanc de l’arbre, je lui confiais mes peines, blotti entre ses racines, comme en les bras d’un père. Et je sais qu’il m’écoutait. Et sans doute qu’après, à son tour, il parla et qu’il me consola. Car lorsque, quelques heures plus tard, je m’éveillai, nez en terre et ronflant, de ma mélancolie plus rien ne me restait, qu’un peu de courbature au cœur endolori et une crampe au mollet.

Le soleil s’éveillait. L’arbre, plein d’oiseaux, chantait. Il ruisselait de chants, comme une grappe de raisin qu’on presse entre ses mains. Guillaumet le pinson, Marie Godrée la rouge-gorge, et la limeuse de scie, et la grise Sylvie, fauvette qui babille, et Merlot mon compère, celui que je préfère, parce que rien ne lui fait, ni froid, ni vent, ni pluie, et que toujours il rit, toujours de bonne humeur, le premier à chanter dès l’aube, et le dernier, et parce qu’il a, comme moi, le pif enluminé. Ah ! les bons petits gars, de quel cœur ils braillaient. Aux terreurs de la nuit ils venaient d’échapper. La nuit, grosse de pièges, qui, chaque soir, descend sur eux comme un filet. Ténèbres étouffantes… qui de nous périra… Mais, farirarira !… aussitôt que se rouvre le rideau de la nuit, dès que le rire pâle de l’aurore lointaine commence à ranimer le visage glacé et les