Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/192

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Pouilly, Irancy. De la fenêtre de mon bateau qui allait vers l’ancre, je jetai une corde. Le champi y attacha un vieux panier d’osier, et de mes dernières forces, je hissai mes derniers amis.

À partir de ce moment, retombé sur ma paillasse, les autres étant partis, je me sentis moins seul. Mais je n’essaierai point de vous faire le récit des heures qui suivirent. Je ne sais comment il se fait que je n’en retrouve plus le compte. Il faut qu’on m’en ait volé huit ou dix dans ma poche. Je sais que j’étais enfoncé dans un vaste entretien avec la trinité des esprits en bouteille ; mais de ce que nous disions, je ne me rappelle rien. Je perds Colas Breugnon : où diable est-il passé ?…

Vers minuit, je le revois, assis dans son jardin, étalé des deux fesses sur une plate-bande de fraises grasses, moelleuses et fraîches, et contemplant le ciel au travers des rameaux d’un petit doyenné. Que de lumières là-haut, et que d’ombre ici-bas ! La lune me faisait les cornes. À quelques pas de moi, un tas de vieux sarments noirs, tortus et griffus, avaient l’air de grouiller comme un nid de serpents, et me regardaient avec des grimaces diaboliques… Mais qui m’expliquera ce que je fais ici ?… Il me semble (tout se mêle dans mon esprit trop riche) que je m’étais dit :

— Debout, chrétien ! Un empereur romain ne meurt pas, mon Colas, le cul sur son matelas. Sursum corda ! Les bouteilles sont vides. Consummatum est. Plus rien à faire ici ! Allons haranguer nos choux !