Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/24

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Je possède une maison, une femme, quatre garçons, une fille, mariée (Dieu soit loué !), un gendre (il le faut bien !), dix-huit petits-enfants, un âne gris, un chien, six poules et un cochon. Çà, que je suis riche ! Ajustons nos besicles, afin de regarder de plus près nos trésors. Des derniers, à vrai dire, je ne parle que pour mémoire. Les guerres ont passé, les soldats, les ennemis, et les amis aussi. Le cochon est salé, l’âne fourbu, la cave bue, le poulailler plumé.

Mais la femme, je l’ai, ventredieu, je l’ai bien ! Écoutez-la brailler. Impossible d’oublier mon bonheur : c’est à moi, c’est à moi, le bel oiseau, j’en suis le possesseur ! Cré coquin de Breugnon ! Tout le monde t’envie… Messieurs, vous n’avez qu’à dire. Si quelqu’un veut la prendre !… Une femme économe, active, sobre, honnête, enfin pleine de vertus (cela ne la nourrit guère, et, je l’avoue, pécheur, mieux que sept vertus maigres j’aime un péché dodu… Allons, soyons vertueux, faute de mieux, Dieu le veut)… Hai ! comme elle se démène, notre Marie-manque-de-grâce, remplissant la maison de son corps efflanqué, furetant, grimpant, grinchant, grommelant, grognant, grondant, de la cave au grenier, pourchassant la poussière et la tranquillité ! Voici près de trente ans que nous sommes mariés. Le diable sait pourquoi ! Moi, j’en aimais une autre, qui se moquait de moi ; et elle, voulait de moi, qui ne voulais point d’elle. C’était en ce temps-là une petite brune blême, dont les dures prunelles m’auraient mangé tout vif et brûlaient