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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

ture, les dates des jours où il avait lu et relu chaque chapitre ; le livre était rempli de bouts de papier jauni, où le vieux avait noté ses naïves réflexions. Cette Bible était placée sur une planche, au-dessus de son lit ; il la prenait souvent, pendant ses longues insomnies, conversant avec elle, plutôt qu’il ne la lisait. Elle lui avait tenu compagnie jusqu’à l’heure de la mort, comme elle avait tenu déjà compagnie à son père. Un siècle des deuils et des joies de la famille se dégageait de ce livre. Christophe se sentit moins seul avec lui.

Il l’ouvrit aux plus sombres pages :


La vie de l’homme sur la terre est une guerre continuelle, et ses Jours sont comme les Jours d’un mercenaire…

Si je me couche, je dis : Quand me lèverai-je ? Et, étant levé, j’attends le soir avec impatience, et je suis rempli de douleur jusqu’à la nuit…

Quand je dis : Mon lit me consolera, le repos assoupira ma plainte, — alors tu m’épouvantes par des songes, et tu me troubles par des visions…

Jusqu’à quand ne m’épargneras-tu point ? Ne me donneras-tu point quelque relâche, pour que je puisse respirer ? — Ai-je péché ? Que t’ai-je fait, ô gardien des hommes ?…

Tout revient au même : Dieu afflige le juste aussi bien que le méchant…