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l’aube

gnons, les polissons des rues, avec qui il se battait, le trempèrent solidement. Il ne craignait pas les coups ; et il revint plus d’une fois au logis, avec le nez saignant et des bosses au front. Un jour, il fallut le dégager, presque étouffé, d’une de ces mêlées furieuses, où il avait roulé sous son adversaire, qui lui cognait avec férocité la tête sur le pavé. Il trouvait cela naturel, étant prêt à faire aux autres ce qu’on lui faisait à lui-même.

Cependant, il avait peur d’une infinité de choses ; et, bien qu’on n’en sût rien, — car il était très orgueilleux, — rien ne le fit tant souffrir que ces terreurs continuelles, pendant une partie de son enfance. Pendant deux ou trois ans surtout, elles sévirent en lui, comme une maladie.

Il avait peur du mystérieux qui s’abrite dans l’ombre, des puissances mauvaises qui semblent guetter la vie, du grouillement de monstres, que tout cerveau d’enfant porte en lui avec épouvante, et mêle à tout ce qu’il voit : derniers restes sans doute d’une faune disparue, des hallucinations des premiers jours près du néant, du sommeil redoutable dans le ventre de la mère, de réveil de la larve au fond de la matière.

Il avait peur de la porte du grenier. Elle donnait sur l’escalier, et était presque toujours entrebâillée. Quand il devait passer devant, il sentait son cœur

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