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Jean-Christophe

Louisa, qui comprenait l’enfant, fit :

— Chut ! laisse-le dormir !

Et l’on parla plus bas. Mais Christophe, l’oreille tendue, épiait tous les détails : la maladie, une fièvre typhoïde, les bains froids, le délire, la douleur des parents. Il ne pouvait plus respirer ; une sorte de boule l’étouffait, lui montait dans le cou ; il frissonnait : toutes ces horribles choses se gravaient dans sa tête. Surtout il retint que le mal était contagieux, c’est-à-dire qu’il pourrait mourir aussi de la même façon : et l’épouvante le glaçait ; car il se rappelait qu’il avait donné la main à Fritz, la dernière fois qu’il l’avait vu, et que dans la journée même il avait passé devant sa maison. — Cependant, il ne faisait aucun bruit, pour ne pas être obligé de parler ; et quand son père lui demanda, après le départ de la voisine : « Christophe, dors-tu ? », il ne répondit pas. Il entendit Melchior qui disait à Louisa :

— Cet enfant n’a pas de cœur.

Louisa ne répliqua rien ; mais un moment après, elle vint doucement soulever le rideau et regarda le petit lit. Christophe n’eut que le temps de fermer les yeux, et d’imiter le souffle régulier qu’il entendait à ses frères quand ils dormaient. Louisa s’éloigna sur la pointe des pieds. Et pourtant, qu’il eût voulu la retenir ! qu’il eût voulu lui dire combien il avait

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