Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 1.djvu/146

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Jean-Christophe

lui sourit avec ses clairs yeux gris, la bouche un peu ouverte, ses petites dents qui brillent… Ah ! le beau sourire indulgent et aimant ! il fond le cœur de tendresse ! qu’il fait de bien, qu’on l’aime ! Encore ! Souris-moi encore ! ne t’en va point !… — hélas ! il s’est évanoui ! Mais il laisse dans le cœur une douceur ineffable. Il n’y a plus rien de mal, il n’y a plus rien de triste, il n’y a plus rien… Rien qu’un rêve léger, une musique sereine, qui flotte dans un rayon de soleil, comme les fils de la Vierge par les beaux jours d’été… — Qu’est-ce donc qui vient de passer ? Quelles sont ces images qui pénètrent l’enfant d’un trouble triste et doux ? Jamais il ne les avait vues encore ; et pourtant il les connaissait : il les a reconnues. D’où viennent-elles ? De quel gouffre obscur de l’Être ? Est-ce de ce qui fut,… ou de ce qui sera ?

Maintenant, tout s’efface, toute forme s’est fondue. — Une dernière fois encore, à travers un voile de brume, comme si l’on planait très haut, au-dessus de lui, le fleuve débordé paraît, couvrant les champs, roulant auguste, lent, presque immobile. Et tout à fait au loin, comme une lueur d’acier au bord de l’horizon, une plainte liquide, une ligne de flots qui tremblent, — la Mer. Le fleuve court à elle. Elle semble courir à lui. Elle l’aspire. Il la veut. Il y va disparaître… — La mu-

134