Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 1.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Jean-Christophe

fût donné aux hommes, pour leur consolation et pour leur gloire. Et Christophe, qui était reconnaissant à son grand-père de ce qu’il lui parlait comme à un homme, avait été secrètement touché par cette naïve parole, qui s’accordait avec son stoïcisme enfantin et son orgueil naissant.

Mais, plus que tous les arguments, le souvenir profond de certaines émotions musicales l’attacha malgré lui, l’asservit, pour la vie, à cet art détesté, contre qui il tentait en vain de se révolter.

Il y avait dans la ville, comme c’est l’habitude en Allemagne, un théâtre qui jouait l’opéra, l’opéra-comique, l’opérette, le drame, la comédie, le vaudeville, et tout ce qui pouvait se jouer, de tous les genres et de tous les styles. Les représentations avaient lieu trois fois par semaine, de six à neuf heures du soir. Le vieux Jean-Michel n’en manquait pas une, et témoignait à toutes un intérêt égal. Il emmena une fois avec lui son petit-fils. Plusieurs jours à l’avance, il lui avait raconté longuement le sujet de la pièce. Christophe n’y avait rien compris ; mais il avait retenu qu’il y aurait des choses terribles ; et, tout en brûlant du désir de les voir, il en avait grand peur, sans oser se l’avouer. Il savait qu’il y aurait un orage, et il craignait d’être foudroyé. Il savait qu’il y aurait une bataille, et il n’était pas sûr de ne pas être tué. La veille, dans son lit, il en avait une

140