Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 1.djvu/153

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
l’aube

véritable angoisse ; et, le jour de la représentation, il souhaitait presque que grand-père fût empêché de venir. Mais l’heure approchant et grand-père ne venant pas, il commençait à se désoler, et regardait à tout instant à la fenêtre. Enfin le vieux parut, et ils partirent ensemble. Le cœur lui sautait dans la poitrine ; il avait la langue sèche, il ne pouvait articuler une syllabe.

Ils arrivèrent à cet édifice mystérieux, dont il était souvent question dans les entretiens de la maison. À la porte, Jean-Michel rencontra des gens de connaissance ; et le petit, qui lui serrait la main très fort, tant il avait peur de le perdre, ne comprenait pas comment ils pouvaient causer tranquillement et rire, en cet instant.

Grand-père s’installa à sa place habituelle, au premier rang, derrière l’orchestre. Il s’appuyait sur la balustrade, et commençait aussitôt avec la contrebasse une interminable conversation. Il se trouvait là dans son milieu ; là, on l’écoutait parler, à cause de son autorité musicale ; et il en profitait : on peut même dire qu’il en abusait. Christophe était incapable de rien entendre. Il était écrasé par l’attente du spectacle, par l’aspect de la salle qui lui paraissait magnifique, par l’affluence du public, qui l’intimidait horriblement. Il n’osait tourner la tête, croyant que tous les regards étaient fixés sur lui.

141