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l’aube

j’en écrirai aussi, moi. Oh ! est-ce que je pourrai jamais ?

À partir de ce moment, il n’eut plus qu’un désir : retourner au théâtre ; et il se remit, au travail avec d’autant plus d’ardeur, qu’on lui fit du théâtre la récompense de son travail. Il ne songeait plus qu’à cela : pendant la moitié de la semaine, il pensait au spectacle passé ; et il pensait au spectacle prochain, pendant l’autre moitié. Il tremblait de tomber malade pour la représentation ; et sa crainte lui faisait éprouver souvent les symptômes de trois ou quatre maladies. Le jour venu, il ne dînait pas, il s’agitait comme une âme en peine, il allait regarder cinquante fois l’horloge, il croyait que le soir n’arriverait jamais ; enfin, n’y tenant plus, il partait de la maison une heure avant l’ouverture des bureaux, de peur de ne pas trouver de place ; et, comme il était le premier dans la salle déserte, il commençait à s’inquiéter. Son grand-père lui avait raconté que deux ou trois fois le public n’étant pas assez nombreux, les comédiens avaient préféré ne pas jouer et rendre le prix des places. Il guettait les arrivants, il les comptait, il pensait : « Vingt-trois, vingt-quatre, vingt-cinq… oh ! ce n’est pas assez… jamais ce ne sera assez ! » et quand il voyait entrer au balcon ou à l’orchestre quelque personnage d’importance, il avait le cœur

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