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Jean-Christophe

mage de ses voisins, qui se garaient comme ils pouvaient de ses ruades. Au reste, tout le public était dans l’enthousiasme, fasciné par le succès, bien plus que par les œuvres. À la fin, il y eut un orage d’applaudissements et de cris, où les trompettes de l’orchestre, selon la mode allemande, mêlèrent leurs clameurs triomphales, pour saluer le vainqueur. Christophe tressaillait d’orgueil, comme si ces honneurs étaient pour lui. Il jouissait de voir le visage de Hassler s’illuminer d’un contentement enfantin. Les dames jetaient des fleurs, les hommes agitaient leurs chapeaux ; et ce fut une ruée du public vers l’estrade. Chacun voulait serrer la main du maître. Christophe vit une des enthousiastes porter cette main à ses lèvres, et une autre dérober le mouchoir, que Hassler avait laissé sur le coin de son pupitre. Il voulut, lui aussi, arriver à l’estrade, bien qu’il ne sût pas du tout pourquoi ; car s’il s’était trouvé en ce moment près de Hassler, il se serait enfui aussitôt, d’émotion et de peur. Mais il donnait de toute sa force des coups de tête, comme un bélier, dans les robes et les jambes qui le séparaient de Hassler. — Il était trop petit. Il ne put arriver.

Heureusement, grand-père vint le prendre à la sortie du concert, pour l’emmener à une sérénade qu’on donnait à Hassler. C’était la nuit, on avait allumé des torches. Tous les musiciens de l’orchestre

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