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l’aube

une ruche bourdonnante d’abeilles. Mais nul ne le remarquait. Lui, moins que personne.

Comme tous les enfants, il chantonnait sans cesse. À toute heure du jour, quelque chose qu’il fît ; — qu’il se promenât dans la rue, en sautillant sur un pied ; — ou que vautré sur le plancher de grand-père, et la tête dans ses mains, il fût plongé dans les images d’un livre ; — ou qu’assis sur sa petite chaise, dans le coin le plus obscur de la cuisine, il rêvassât sans penser à rien, tandis que la nuit tombait ; — toujours on entendait le murmure monotone de sa petite trompette, bouche close, et les joues gonflées, ou s’ébrouant des lèvres. Cela durait des heures, sans qu’il s’en lassât. Sa mère n’y faisait pas attention ; puis, brusquement, elle en criait d’impatience.

Quand il était las de cet état de demi-somnolence, il était pris d’un besoin de se remuer et de faire du bruit. Alors, il se faisait des musiques, qu’il chantait à tue-tête. Il en avait fabriqué pour toutes les occasions de sa vie. Il en avait pour quand il barbotait dans sa cuvette, le matin, comme un petit canard. Il en avait pour quand il montait au tabouret de piano, devant l’instrument détesté, — et surtout quand il en descendait : — celle-ci était bien plus brillante que l’autre. — Il en avait pour quand maman apportait la soupe sur la table : — il la pré-

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